En
ce premier dimanche de Carême, nous lisons le récit
des tentations au désert. Ce texte n’est pas sans nous
interpeller : que nous dit-il ou que nous apprend-il de l’Esprit
? Du désert ? Et des manigances du diable ?
Luc 4,1-13
« Jésus – rempli d’Esprit Saint
s’en revint du Jourdain et il était conduit par l’Esprit
dans le désert, pendant quarante jours, et il était
tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là,
et lorsque ce temps fut écoulé, il eut faim. Le diable
lui dit alors […] Le diable le conduisit plus haut […]Le
diable le conduisit à Jérusalem et le plaça
[…] Et ayant épuisé toute épreuve le
diable s’éloigna de lui jusqu’à une occasion.
»

Pierre Soulages, Sérigraphie n°23,
1999, 24,5 x 21,5 cm - 15 x 21,5 cm, BNF Estampes et photographie.
Tirage en 50 épreuves, 10 épreuves d’artiste
et 10 épreuves hors commerce sur papier vélin.
Pierre Soulages est le peintre des grands espaces,
parce que ce sont les paysages qu’il aime : les vastes étendues
des Causses ou du Larzac et l’infini de la mer devant son
atelier de Sète.
Dans sa composition en larges bandes horizontales, je retrouve l’horizon
du désert et son infini, ce fameux appel au grand large dont
l’évangile est plein : allez debout, lève-toi,
réveillez-vous, avance en eau profonde, passez de l’autre
rive, de quoi avez-vous peur, en marche, etc. …
Le noir n’est pas opaque mais riche de variations et de trouée
lumineuses.
Tout d’abord, en haut du dessin : l’encre colorée
de brun, délayée, comme fondue dans le noir. Et ces
deux encres jouent comme l’irisation de la lumière,
comme une teinte de sable et de soleil mêlés, rappelant
la présence, l’immanence de l’Esprit en nos vies.
Puis, il y a les traces – laissées en creux –
de cette encre noire qui n’a pas tout recouvert. Et dans ces
deux déchirures (au centre et au bas du noir), c’est
l’ouverture d’un autre chemin possible, une échappatoire,
un appel à la liberté. On peut s’en sortir.
Et enfin, la place du papier laissé vierge en haut et en
bas, encadrant les bandes noires. Et là, c’est encore
autre chose, parce qu’en plus de la trouée de lumière,
il y a aussi le grain du papier resté vierge, brut, pur,
pauvre. Il existe, par lui, un espace en attente, non compromis,
non sali, non taché, intact. Comme le cœur de Marie
à l’Annonciation recevant le Verbe. Comme un grand
parterre de neige blanche qu’aucun pas n’est venu fouler
et dont le silence ouaté nous protège des bruits parasites
et des perturbations sonores.
Toutes ses pistes, ouvertes par le peintre, nous
donnent des indices pour comprendre notre récit. Le désert
est cet espace vierge des possibles et de la nouveauté créatrice,
terrain de l’Esprit. Les jeux de lumière, d’ouverture,
de percées, sont comme le travail de l’Esprit. Jésus
en est rempli, c’est donc que l’Esprit est en lui et,
silencieux, ne le quitte plus. Son travail est de conduire le fils
de l’homme au désert, aux immensités libres,
à l’incomplétude, à la faim, au vide
et donc au désir qui rend pauvre. Car c’est en cela
que l’homme devient vivant. Si nous le relisons à la
lumière des béatitudes (Luc 6,20-26), nous entendons
au cœur : « En marche ! Heureux les pauvres, les affamés,
les assoiffés … ». Pauvreté qui nous fait
désirer Dieu, son Royaume de paix et de justice, et appeler
la vraie vie. « Le désert, plus qu’aucun autre
paysage donne la liberté à l’imagination. Un
arbre au bord de la piste, un couple d’oiseaux dans le ciel
témoignent plus de la vie que la plus verte vallée.
» Anne Philippe (1917-1990), Le temps d’un soupir, Livre
de Poche, 1969, p.58.
Conduite divine en contrepoint des tentations du diable falsificateur,
qui lui aussi conduit, mais non en ouvrant des espaces de création,
sinon en bouchant, colmatant, goinfrant, saturant, les besoins de
l’homme. Il s’immisce, va et vient, monte, descend,
s’éloigne, abandonne, s’agite et fait beaucoup
de bruit pour rien, car Jésus sort vainqueur de ce combat.
« Hélas pour vous les riches, les repus, ceux qui rient,
les flattés … »
En ce premier dimanche de Carême, laissons-nous
conduire par l’Esprit, le grand Silencieux qui ne nous abandonne
pas et creuse, découvre, en nous et avec nous de nouveaux
chemins de désir. Voici venu le temps d’assumer, joyeusement,
nos déserts, nos manques et nos pauvretés.
Sr Nathalie
______ ooo ooo
oo
oo

o ______Cendresooooo
Dimanche
2oooDimanche
3 ooDimanche
4 ooDDimanche
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