Fr.
A :
À propos de l'exposition, il faut remercier le talent de
l'accrocheur (Gérard), car c'est toute la mise en scène
qui va valoriser ou parfois tuer une toile. Chacune (selon son
emplacement, son orientation, et la toile voisine en dialogue)
va raconter encore autre chose. Regarder leur emplacement (hauteur,
place par rapport à la lumière, choix de telle place
en fonction de telle palette colorée, leur voisinage).
Sr. N Pour
la confession de foi du peintre Henri Matisse : c'est comme s'il
parlait de l'expérience d'un faire ensemble. Dieu devient
réalité, pour lui, dans son travail de peintre. Il
y a, simultanément, commune révélation de la
présence de Dieu et achèvement de la peinture (formes
et couleurs). Dieu proche et présent dans cette mise au jour
picturale, dans ce langage artistique. Expérience que nous
pouvons mettre en parallèle avec le Dieu Créateur
de Genèse 2, qui fait collaborer le " glaiseux "
à la création des animaux, tous deux tâtonnant
ensemble : (Gn 2, 18-20)
Naissance
d'une altérité.
Frère
Angelico partage cette même expérience, en soulignant
le caractère de transcendance de l'uvre finie qui est
et dit plus que ce qu'il y a mis ou que ce qu'il est lui-même.
L'uvre dépasse son auteur. Elle l'étonne, l'émerveille,
" lui fait du bien ". C'est ce qu'il dit à propose
d'une Annonciation qu'il garde comme collection particulière.
Ce n'est plus lui qui fait parler sa toile, mais c'est la toile
qui lui parle. Expérience
picturale qui est aussi expérience spirituelle.
Fr.
A Quand
on demandait à Matisse s'il croyait en Dieu, celui-ci répondait
: " oui, quand je peints ".
À un moment donné, le peintre sait que l'uvre
est finie, mais il n'a pas tellement conscience qu'il en est l'auteur.
C'est la grâce.
C'est Albert Gleizes (1881-1953) qui
a eu une influence décisive sur mon travail et ma recherche.
La toile est une surface plane, sans aucun effet de perspective,
à la manière des cubistes. La
source profonde de mon langage c'est l'étude, l'observation
de l'art roman qui dans sa simplicité dit toujours ce mouvement
de la terre au ciel, du charnel au spirituel. Référence
à l'art roman : faire du lien.
' Péché de la Genèse (humanité coupée
de Dieu) et Annonciation (Marie priant et recevant l'Annonce
de l'Ange). ' Présentation au Temple (Marie offre son fils
nouveau-né) et Descente de Croix (Marie reçoit son
fils mort).
Référence
à la patristique : Le spirituel touche tout, il
doit tout couvrir et faire le lien. La " sacra doctrina ".
Dans un de ses commentaires, saint Jérôme (Père
et docteur de l'Église, 347-420), à propos de la vision
inauguratrice du prophète Ezéchiel, parle de la plante
des pieds comme un carré (humanité) jusqu'à
la vision céleste comme un cercle. Les
compositions sont orthogonales ou diagonales. Toutes disent ce passage
du carré au cercle (qui est la forme immobile et mobile,
infinie, figure du spirituel et de la perfection.)
Mes
peintures ne sont que des essais. Dans mon travail, il y a une recherche
incessante de ce passage, de ce mouvement du matériel (le
carré) pour aller aux réalités spirituelles
(le cercle). La mise en mouvement est matérialisée
par les obliques. La réalité sacrée de cet
art est valable, est commune, pour toutes les spiritualités
(la dialectique "carré et cercle" étant
l'imaginaire de base de toute l'humanité).
Grande liberté de l'art roman et du travail du peintre qui
ne sont pas liés à un canon, comme c'est le cas dans
l'art Byzantin.
Sr. N Je relève deux notions
celles : ' De " l'universalité " (un art qui parle
à toutes les spiritualités).
' Des " réalités spirituelles ". Terre et
ciel, matériel et spirituel ne s'opposent pas : ni dans l'art
roman, ni dans le travail de Dom Angelico. Les deux sont des réalités
qui se révèlent interdépendantes et vecteurs
de révélation l'une pour l'autre. Chacune sont des
réalités : l'homme faisant quotidiennement l'expérience
et de sa fragilité (misères humaines) et de
cet appel à la contemplation (vocation à l'amour
de Dieu).
Fr. A À propos d'un tableau de la Sainte famille.
Toile aux teintes claires et douces. Avec trois figures figuratives
au sein d'un jeu d'obliques et de courbes. 
Saint
Joseph figure haute de la toile : c'est lui qui donne son nom à
Jésus.Mais il n'y a que Marie qui porte l'enfant, car Jésus
n'est né que d'elle.
C'est Marie qui apprend à Jésus à prier
Étonnante que la figure du Verbe de Dieu qui s'abaisse dans
sa toute puissance à n'être rien qu'un enfant qui a
tout à recevoir de sa mère. Ce n'est pas le Verbe
fait chair qui apprend à Marie à prier, mais l'inverse
! Il est le plus petit.
Cf.
Le commentaire de Sr Jeanne d'Arc à propos du " plus
petit dans le royaume des cieux ", Jésus parle de lui.
Mt 11,11 " En vérité, je vous le déclare,
parmi ceux qui sont nés d'une femme, il ne s'en est pas levé
de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit
dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. "
Sr.
N A propos de ce même tableau : silhouette féminine
de Joseph. Les
thèmes de l'Annonciation, des anges : à reprendre
avec l'oeuvre du Bx Fra Angelico, (Frère
prêcheur et peintre italien, 1440-1455. Béatifié
en 1983 par JP II.) patronage du peintre.
Fr.
A Ce qu'il y a de merveilleux avec la peinture, c'est que l'on
a le temps de réfléchir.
Travail du peintre lié au silence de la prière. Espace
de silence.
Palette de couleurs de plus en plus douce. Tons de plus en plus
doux comme un effacement. La palette qui s'adoucit, c'est aller
vers le silence. Beaucoup
de calme dans les peintures récentes. Entrer dans la contemplation
du mystère de la maternité de Marie et de la filiation
de Jésus. Douceur et béatitude. Patrice de la Tour
du Pin, à propos de la Vierge Marie : " Ah mon fils,
si vous saviez comme il s'endormait ".
Question:
Comment aider les visiteurs à regarder ?
Fr. A Toute la différence est dans "voir"
et "regarder". Aujourd'hui, nous ne savons que "voir".
Nous nous contentons d'un regard rapide et intellectuel. Il n'y
a qu'à constater comment nous visitons les expositions et
musées : au pas de course. Pour connaître une toile,
nous voulons savoir qui en est l'auteur et quel est le sujet, nous
ne l'abordons que de manière intellectuelle.
Or pour "regarder" une toile, pour vraiment entrer en
elle, l'écouter : la part des sens est primordiale, ainsi
que le temps. Il nous faudrait passer autant de temps devant une
toile qu'à l'écoute d'une symphonie, pour en saisir
tous les aspects, les nuances. Il nous faudrait revenir à
une véritable éducation des sens.
Référence à la lumière de la raison
qui parfois handicape fortement notre perception. Cf. Ce qu'en dit
le poète Goethe (Allemand 1749-1832), dans son second
Faust (1832). La raison = une lumière qui rend plus
bête que les bêtes. Dualité art et vie du croyant.
Dualité résolue en partie par son maître Albert
Gleizes (qui tenta d'intégrer les apports cubistes à
la peinture religieuse).
Savoir s'arrêter à temps, c'est la grâce, sa
femme lui dira pour une oeuvre: " arrête-toi, je l'achète
! "
Questions: Êtes-vous un peintre
abstrait ou figuratif ? Au vue de vos toiles, pouvons-nous dire
qu'il y a deux sortes de peintures ?
oooooo
ooooooooooo oooooo
oooooo oooooo
Fr. A Enlevez les figures et vous retrouverez la même
construction, la même recherche de ce mouvement de la matière
vers le spirituel. C'est la même chose.
Questions: Les titres viennent-ils
avant ou après vos réalisations ? Décidez-vous
de raconter une histoire, d'illustrer un évangile ou est-ce
une autre démarche ?
Fr. A Le titre vient toujours après.
Par exemple ces deux toiles " La sainte humilité "
et " La sainte pauvreté " sont un triptyque sur
les sacrements. Le baptême, la réconciliation et l'eucharistie
(qui a été offert à une communauté du
Saint Sacrement.)
Le baptême c'est la rectitude de la profession de foi : jeu
de lignes orthogonales, stable.
Le jeu de gris parle de notre misère. Le matériau
du sacrement de réconciliation, c'est nous.
Gérard: Il y a une manière
de peindre un sujet, une idée, avec un titre donné
avant, le peintre connaît à l'avance ce qu'il veut
peindre : c'est l'art appliqué. Un projet défini et
une application maladroite.
Mais il y a aussi une autre manière de peindre : peindre
ce que l'on cherche, qui correspond à la manière de
peindre de Frère Angelico.
Démarche d'abandon, démarche qui sent la poésie.
Le peintre obéit (écoute) la peinture qui lui a été
confiée, dans une démarche d'intuition. Tout cela
avec une précision d'horloger quant au moindre détail,
à la moindre couleur.
|