Interview du père Dom Angelico Surchamp
Par soeur Nathalie, carmélite de Saint-Joseph à Saint Guilhem - le-Désert

Fr. A : À propos de l'exposition, il faut remercier le talent de l'accrocheur (Gérard), car c'est toute la mise en scène qui va valoriser ou parfois tuer une toile. Chacune (selon son emplacement, son orientation, et la toile voisine en dialogue) va raconter encore autre chose. Regarder leur emplacement (hauteur, place par rapport à la lumière, choix de telle place en fonction de telle palette colorée, leur voisinage).

Sr. N Pour la confession de foi du peintre Henri Matisse : c'est comme s'il parlait de l'expérience d'un faire ensemble. Dieu devient réalité, pour lui, dans son travail de peintre. Il y a, simultanément, commune révélation de la présence de Dieu et achèvement de la peinture (formes et couleurs). Dieu proche et présent dans cette mise au jour picturale, dans ce langage artistique. Expérience que nous pouvons mettre en parallèle avec le Dieu Créateur de Genèse 2, qui fait collaborer le " glaiseux " à la création des animaux, tous deux tâtonnant ensemble : (Gn 2, 18-20)

Naissance d'une altérité.
Frère Angelico partage cette même expérience, en soulignant le caractère de transcendance de l'œuvre finie qui est et dit plus que ce qu'il y a mis ou que ce qu'il est lui-même. L'œuvre dépasse son auteur. Elle l'étonne, l'émerveille, " lui fait du bien ". C'est ce qu'il dit à propose d'une Annonciation qu'il garde comme collection particulière. Ce n'est plus lui qui fait parler sa toile, mais c'est la toile qui lui parle. Expérience picturale qui est aussi expérience spirituelle.

Fr. A
Quand on demandait à Matisse s'il croyait en Dieu, celui-ci répondait :
" oui, quand je peints ".
À un moment donné, le peintre sait que l'œuvre est finie, mais il n'a pas tellement conscience qu'il en est l'auteur. C'est la grâce.


C'est Albert Gleizes (1881-1953) qui a eu une influence décisive sur mon travail et ma recherche. La toile est une surface plane, sans aucun effet de perspective, à la manière des cubistes.
La source profonde de mon langage c'est l'étude, l'observation de l'art roman qui dans sa simplicité dit toujours ce mouvement de la terre au ciel, du charnel au spirituel. Référence à l'art roman : faire du lien.
' Péché de la Genèse (humanité coupée de Dieu) et Annonciation (Marie priant et recevant l'Annonce de l'Ange). ' Présentation au Temple (Marie offre son fils nouveau-né) et Descente de Croix (Marie reçoit son fils mort).

Référence à la patristique : Le spirituel touche tout, il doit tout couvrir et faire le lien. La " sacra doctrina ". Dans un de ses commentaires, saint Jérôme (Père et docteur de l'Église, 347-420), à propos de la vision inauguratrice du prophète Ezéchiel, parle de la plante des pieds comme un carré (humanité) jusqu'à la vision céleste comme un cercle. Les compositions sont orthogonales ou diagonales. Toutes disent ce passage du carré au cercle (qui est la forme immobile et mobile, infinie, figure du spirituel et de la perfection.)

Mes peintures ne sont que des essais. Dans mon travail, il y a une recherche incessante de ce passage, de ce mouvement du matériel (le carré) pour aller aux réalités spirituelles (le cercle). La mise en mouvement est matérialisée par les obliques. La réalité sacrée de cet art est valable, est commune, pour toutes les spiritualités (la dialectique "carré et cercle" étant l'imaginaire de base de toute l'humanité).
Grande liberté de l'art roman et du travail du peintre qui ne sont pas liés à un canon, comme c'est le cas dans l'art Byzantin.

Sr. N Je relève deux notions celles : ' De " l'universalité " (un art qui parle à toutes les spiritualités).
' Des " réalités spirituelles ". Terre et ciel, matériel et spirituel ne s'opposent pas : ni dans l'art roman, ni dans le travail de Dom Angelico. Les deux sont des réalités qui se révèlent interdépendantes et vecteurs de révélation l'une pour l'autre. Chacune sont des réalités : l'homme faisant quotidiennement l'expérience et de sa fragilité (misères humaines) et de cet appel à la contemplation (vocation à l'amour de Dieu).


Fr. A À propos d'un tableau de la Sainte famille. Toile aux teintes claires et douces. Avec trois figures figuratives au sein d'un jeu d'obliques et de courbes.

Saint Joseph figure haute de la toile : c'est lui qui donne son nom à Jésus.Mais il n'y a que Marie qui porte l'enfant, car Jésus n'est né que d'elle.
C'est Marie qui apprend à Jésus à prier … Étonnante que la figure du Verbe de Dieu qui s'abaisse dans sa toute puissance à n'être rien qu'un enfant qui a tout à recevoir de sa mère. Ce n'est pas le Verbe fait chair qui apprend à Marie à prier, mais l'inverse ! Il est le plus petit.

Cf. Le commentaire de Sr Jeanne d'Arc à propos du " plus petit dans le royaume des cieux ", Jésus parle de lui.
Mt 11,11 " En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d'une femme, il ne s'en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. "

Sr. N A propos de ce même tableau : silhouette féminine de Joseph. Les thèmes de l'Annonciation, des anges : à reprendre avec l'oeuvre du Bx Fra Angelico, (Frère prêcheur et peintre italien, 1440-1455. Béatifié en 1983 par JP II.) patronage du peintre.

Fr. A Ce qu'il y a de merveilleux avec la peinture, c'est que l'on a le temps de réfléchir.
Travail du peintre lié au silence de la prière. Espace de silence.

Palette de couleurs de plus en plus douce. Tons de plus en plus doux comme un effacement. La palette qui s'adoucit, c'est aller vers le silence. Beaucoup de calme dans les peintures récentes. Entrer dans la contemplation du mystère de la maternité de Marie et de la filiation de Jésus. Douceur et béatitude. Patrice de la Tour du Pin, à propos de la Vierge Marie : " Ah mon fils, si vous saviez comme il s'endormait ".

Question: Comment aider les visiteurs à regarder ?

Fr. A Toute la différence est dans "voir" et "regarder". Aujourd'hui, nous ne savons que "voir". Nous nous contentons d'un regard rapide et intellectuel. Il n'y a qu'à constater comment nous visitons les expositions et musées : au pas de course. Pour connaître une toile, nous voulons savoir qui en est l'auteur et quel est le sujet, nous ne l'abordons que de manière intellectuelle.
Or pour "regarder" une toile, pour vraiment entrer en elle, l'écouter : la part des sens est primordiale, ainsi que le temps. Il nous faudrait passer autant de temps devant une toile qu'à l'écoute d'une symphonie, pour en saisir tous les aspects, les nuances. Il nous faudrait revenir à une véritable éducation des sens.
Référence à la lumière de la raison qui parfois handicape fortement notre perception. Cf. Ce qu'en dit le poète Goethe (Allemand 1749-1832), dans son second Faust (1832). La raison = une lumière qui rend plus bête que les bêtes. Dualité art et vie du croyant.
Dualité résolue en partie par son maître Albert Gleizes (qui tenta d'intégrer les apports cubistes à la peinture religieuse).
Savoir s'arrêter à temps, c'est la grâce, sa femme lui dira pour une oeuvre: " arrête-toi, je l'achète ! "

Questions:
Êtes-vous un peintre abstrait ou figuratif ? Au vue de vos toiles, pouvons-nous dire qu'il y a deux sortes de peintures ?

oooooo ooooooooooooooooo oooooooooooo

Fr. A Enlevez les figures et vous retrouverez la même construction, la même recherche de ce mouvement de la matière vers le spirituel. C'est la même chose.

Questions: Les titres viennent-ils avant ou après vos réalisations ? Décidez-vous de raconter une histoire, d'illustrer un évangile ou est-ce une autre démarche ?
Fr. A Le titre vient toujours après.
Par exemple ces deux toiles " La sainte humilité " et " La sainte pauvreté " sont un triptyque sur les sacrements. Le baptême, la réconciliation et l'eucharistie (qui a été offert à une communauté du Saint Sacrement.)
Le baptême c'est la rectitude de la profession de foi : jeu de lignes orthogonales, stable.
Le jeu de gris parle de notre misère. Le matériau du sacrement de réconciliation, c'est nous.

Gérard: Il y a une manière de peindre un sujet, une idée, avec un titre donné avant, le peintre connaît à l'avance ce qu'il veut peindre : c'est l'art appliqué. Un projet défini et une application maladroite.
Mais il y a aussi une autre manière de peindre : peindre ce que l'on cherche, qui correspond à la manière de peindre de Frère Angelico.
Démarche d'abandon, démarche qui sent la poésie. Le peintre obéit (écoute) la peinture qui lui a été confiée, dans une démarche d'intuition. Tout cela avec une précision d'horloger quant au moindre détail, à la moindre couleur.

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